Mille et Une Feuilles - Bonjour Brigitte. Sur votre site www.treflerele.fr, vous vous définissez comme « artiste, médiatrice en créativité, catalysatrice de changement ». Expliquez-nous votre rôle, votre vision et ce qui vous anime.
Brigitte Barateau - Après avoir vu par moi-même que l’on pouvait s’exprimer, parler de soi sans entrer au fond de sa propre histoire, j’ai cherché des moyens d’expression autre que la parole et j’ai découvert le collage. J’ai vérifié son effet sur d’autres personnes, en prison notamment. Ensuite, il était évident que je me devais de le transmettre et de le partager.
Les images qui nous attirent portent nos attentes, nos craintes, nos croyances. Déchirer, décomposer, recomposer, recoller, raconter… un collage figure notre propre image en morceaux que nous essayons de contenir puis de transformer.
Médiatrice signifie dans le cadre de mon activité que chaque participant peut s’approprier l’outil du collage par la transmission de savoirs. Catalysatrice au sens chimique du terme, que ma présence et mon intervention conduisent le participant à s’exprimer par le collage, à lâcher prise pour mettre ensuite des mots.
Mille et Une Feuilles - Comment travaillez-vous avec le papier ? Comment ce support s’intège-t-il dans vos activités ?
Brigitte Barateau - Le papier, ou plus précisément l’image, est mon outil principal. Dans les collages que je réalise personnellement, je ne cherche pas une image, je feuillette des journaux et des magazines et les images m’attirent. Je les décompose et les recompose sans thème prédéfini à l’avance, sans composition au sens où je laisse mes pensées vagabonder en même temps. Moins je contrôle, plus l’inconscient se faufile surtout quand il y a du carton ondulé, car je perds de vue ce que je colle. Et cette contrainte permet le lâcher prise.
Avec les cartes (j’anime aussi des ateliers de jeux de cartes associatives), les images sont omniprésentes. C’est avec leur représentation que se raconte des histoires fausses à l’extérieur et vraies à l’intérieur. J’ai fabriqué aussi des jeux avec du carton et des phrases découpées dans les magazines. La couleur et la texture sont importantes dans un jeu de cartes.
Mille et Une Feuilles - Parlons plus particulièrement du collage. Selon vous, qu’est-ce qui en fait un outil puissant ?
Brigitte Barateau - Se laisser choisir par une image, quelle qu’elle soit sans censure, c’est laisser advenir ce qui vient se dire là. C’est voir, comprendre (au sens de prendre avec) les pensées qui surgissent ici et maintenant par les images. Un exercice à la fois cathartique, méditatif et créatif. Dans la récupération de papiers il y a la notion de transformation au sens alchimique du terme, transformer ses émotions, passer de l’ombre à la lumière.
Mille et Une Feuilles - Quel lien faites-vous entre le collage et l’art-thérapie ? En quoi le collage est-il source d’épanouissement personnel ?
Brigitte Barateau - Dans l’art thérapie il y a la notion de soin, je m’adresse à ceux qui sont curieux de leur propre nature.
S’ouvrir avec le collage, c’est apprendre à être bienveillant vis-à-vis de soi-même. Etre pleinement soi s’adresse à tous. Développer son potentiel créatif, c’est penser sa confiance en soi, c’est ouvrir son esprit à l’imprévu, lâcher prise d’un résultat en laissant aller son imagination…
Mille et Une Feuilles - Vous intervenez auprès de personnes en milieu carcéral, en centre social. Comment le collage peut-il aider ces personnes ? Avez-vous une anecdote, un moment fort à partager ?
Brigitte Barateau - Un jeune détenu de 18 ans arrive à l’atelier collage après un parloir avocat. Il sait maintenant ce qu’il risque vraiment. Son collage ce jour- là ne comprend que des images de pierres, de mur, pas un personnage. Il colle, colle jusqu’au dernier morceau découpé et se lève pour partir sans un mot.
Un autre s’est aperçu en regardant son collage terminé qu’il y avait des yeux partout, dont un en plein centre. L’œilleton de la cellule?
En centre social, un atelier de femmes autour de la violence a révélé des images très fortes qui ont pris leur sens une fois collées.
On ne découpe pas une image par hasard. Le collage permet l’expression des ressentis, sans la censure des mots. A condition d’accepter de ne pas vouloir faire un beau tableau. Moins on possède les mots, plus on lâche le mental, plus les émotions sont à fleur de peau, plus les images sont parlantes.
Mille et Une Feuilles - Dans quel(s) autre(s) cadre(s) intervenez-vous ? Utilisez-vous le collage pour des accompagnements personnels ou seulement en groupe ? Comment vous contacter pour organiser un atelier collage ?
Brigitte Barateau - Depuis ma découverte des jeux de cartes associatives, qui sont composées d’images ou de mots, j’utilise moins les collages en groupe. Par contre j’utilise mes collages comme support à l’expression. Réaliser un collage à plusieurs est aussi une dynamique très intéressante : quelle place je m’accorde ? Comment j’occupe l’espace, comment j’envahis l’espace de l’autre ?
Sur mon blog, les dates des ateliers cartes sont annoncées et aussi comment me contacter : www.treflerele.fr.
Mille et Une Feuilles - Terminons par un petit tour sur la boutique de Mille et Une Feuilles. Dans la rubrique « papiers de création », quels papiers choisiriez-vous pour du collage ?
Brigitte Barateau - Les papiers qui m’attirent sont les papiers qui ont de l’épaisseur, que l’on peut froisser, tordre, plier, gratter… je découpe peu aux ciseaux, je préfère déchirer pour laisser voir les déchirures. Donc ce sera le papier parchemin, le papier matière et pourquoi pas le papier pailleté !
Merci Brigitte !
Cécile Douay
Depuis combien de temps n’avez-vous pas colorié ? Oui, colorié ! Un dessin en noir et blanc, des espaces vides, des crayons de couleurs. Tout simplement… Et pas juste pour passer le temps, bien au contraire !
Si les coloriages pour adulte sont actuellement en vogue, c’est qu’ils aident à combattre le stress et la dépression. Et bien plus encore.
Les mandalas par exemple, venus des traditions hindouistes et bouddhistes, proposent un exercice de pleine conscience, un retour sur soi, une forme de méditation. En se concentrant sur les formes et le choix des couleurs, celui qui colorie peut y mettre une intention, travailler sur lui-même, ses désirs profonds et son monde intérieur.
Par la visualisation et la prise de recul, le pouvoir des mandalas est fabuleux. Ce qui compte n’est pas le résultat final, mais la démarche au cours de laquelle les pensées vont et viennent, sans nous envahir.
« Symboliquement, colorier, c'est prendre la main sur une œuvre et par extension sur soi », explique Jérôme Bloch, directeur du studio "Hommes" au sein du cabinet de tendances Nelly Rodi.
Le psychiatre Jung, lui-même passionné de mandalas, s’en servait pour ses vertus de « re-centration de la psyché, de mise en ordre de soi par rapport à ses propres tensions intérieures, de dialogue entre le soi intérieur et le monde externe ».
On atteint là les frontières de l’art-thérapie.
« Pour parler d'art-thérapie ou tout simplement de thérapie, il faut qu'il y ait une démarche qui aille plus loin que le simple fait de colorier, un accompagnement par un professionnel, lequel sait où il souhaite emmener ses patients. Le coloriage en soi n'est alors qu'un support, comme la danse, la peinture, etc ». Précise Nathalie Renault, art-thérapeute.
Prendre contact avec sa vie intérieure et se transformer positivement
L’art-thérapie – ou plutôt devrions-nous dire « la thérapie par l’art » - permet de traiter de nombreux troubles par la méthode douce. Toute forme d’art peut être explorée : dessin, peinture, collage, sculpture, poterie, mosaïque, danse, musique…
Il ne s’agit pas là de développer ou d’utiliser ses dons artistiques, mais de libérer sa créativité et son imagination, d’utiliser l’art comme moyen d'expression de son intériorité, de ses émotions, ses pensées, son intuition, ses sentiments, ses aspirations...
A travers la création artistique, la personne peut exprimer ce qu’elle ne parvient pas à verbaliser. Elle pourra atteindre des résultats en termes d’affirmation de soi, de bien-être, d’éveil de la créativité, d’autonomie, de liberté, de gestion des émotions, de lâcher-prise, de gestion du stress, de réduction de l'anxiété…
L’art thérapie s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants, aux personnes malades, en hôpital psychiatrique, en difficultés sociales, aux délinquants…
Le rôle du thérapeute est d’accompagner le patient dans son travail créatif, de lui donner une impulsion de création, le guider vers les chemins possibles. Sans interpréter, sans juger. Discrètement, il incite le patient à plus de profondeur et à lâcher prise afin de l’amener à des prises de consciences et à comprendre le sens de sa production.
C’est ce type de travail que nous vous proposons de découvrir prochainement, à travers trois portraits de professionnels qui utilisent le papier pour de la thérapie par l’art…
Rendez-vous bientôt avec Brigitte Barateau, qui utilise le collage comme support d’art thérapie !
Cécile Douay